Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit : l’oppression coloniale et la guerre d’indépendance
Le roman à la première personne donne le point de vue de Younes, jeune algérien victime de la colonisation et témoin des événements
de 1937 à la proclamation de l’indépendance, en 1962. Mais la situation du narrateur garantit une certaine objectivité. Il écrit son récit en 2008
alors qu’âgé de 80 ans il est parvenu au terme de sa vie et que le temps écoulé depuis la proclamation de l’indépendance permet d’envisager
les événements avec un certain recul historique. De plus, la situation particulière du narrateur, lié avec les deux communautés et déchiré entre
ses origines arabes et ses amis européens le conduit à une attitude de silence et d’abstention. De ce fait, le roman offre, certes, le point de vue
algérien mais à travers une analyse approfondie et relativement objective des événements par un témoin qui a vécu dans le déchirement
le drame du fossé creusé par la colonisation entre les communautés et l’engrenage irréversible de la violence jusqu’à l’obtention de l’indépendance.
I - L’oppression coloniale et le fossé entre les communautés
A) Le dépouillement et l’expulsion des petits propriétaires autochtones
Le système colonial dépouille les autochtones de leurs biens et de leurs droits. Il exploite la misère des populations locales victimes
des épidémies. « En ces années…s’effacer. » (p. 12)
Il a même recours à des moyens criminels pour dépouiller les propriétaires arabes de leurs terres. Le grand-père de Younes, ruiné par
les épidémies et la vie que menaient certains de ses fils, avait déjà dû hypothéquer ses terres : « Ton grand-père... créanciers. » (p. 87)
Son père mène un combat désespéré pour sauver la propriété familiale : « Ton père…autrement. » (p. 87) et « Criblé de dettes… entêtement. » (p. 13)
L’hypothèque des terres permet aux colons de s’en emparer à bref délai comme le déplore l’oncle Mahi en regrettant que son frère n’ait pas fait appel
à son aide financière : « Tu aurais pu…rouler à ton tour. » (p.28) Le récit suggère que, pour aider le destin, les colons n’écartent pas des procédés
criminels. L’incendie des moissons qui devaient sauver Issa n’a rien d’accidentel. Le marchand rencontré sur le chemin de l’exil l’indique :
« Lorsque j’ai vu…leurs démons » (p. 20-21) Le dénouement survient inexorablement avec la venue du Caïd et d’un colon qui s’approprie
légalement les terres du propriétaire endetté : « Une semaine… l’approcher. » (p.18)
Ainsi se trouve accompli le dépouillement des paysans arabes réduits à l’exode et à la prolétarisation. Réfugié à Jenane Jato, banlieue
misérable d’Oran, Issa court à la recherche de corvées et s’épuise à la tâche. Quand il parvient à réunir quelques économies et retrouve
quelque espoir, il est pris dans un guet-apens, passé à tabac et dépouillé par un bandit. (p.69 à 73) Il s’avoue alors vaincu et confie
Younes à son frère. (p. 74-75) Sa déchéance se poursuit jusqu’au jour où on l’expulse, ivre, d’un bar, sous les yeux de son fils,
humiliation définitive que lui inflige le destin. (p. 101 à 104). Le sort des paysans arabes et l’accaparement des terres par les colons
se trouvent parfaitement illustrés par l’histoire de la famille du narrateur.
B) L’asservissement programmé des arabes et le racisme latent à leur encontre
L’enfant adopté par son oncle souffre du racisme, dès son entrée à l’école. Les arabes sont peu scolarisés, ils sont destinés aux travaux
serviles au service des colons, leur seule chance d’échapper à ce sort réside dans la poursuite d’études. C’est ainsi que l’oncle a pu
devenir pharmacien, il promet de donner cette chance à Younes : « Ton fils…aucun avenir avec toi. »(p.44) A l’école, Younes se retrouve
dans une classe fréquentée par une écrasante majorité d’européens, les seuls arabes sont des fils de dignitaires : « Il n’y avait que deux arabes
dans ma classe, Abdelkader et Brahim, des fils de dignitaires que des domestiques venaient récupérer à la sortie de l’école. » (p. 97)
Dans ce milieu Younes met une année scolaire à se faire accepter par les petits roumis, prompts à se liguer contre l’intrus, « généralement
un arabe ou « un parent pauvre » de leur propre communauté. Il subit d’abord leurs persécutions dont ils finissent par se lasser, en l’absence
de riposte de la part de Younès. Jamais il ne sera totalement considéré comme l’un des leurs : « A l’école…le tournis. » (p 99) Le racisme
des enfants européens à l’égard des arabes qui s’exprime ouvertement avec la complicité du maître d’origine auvergnate révolte
l’enfant que les explications de son oncle ne suffisent pas à apaiser: « Un soir…craindre. » (p 100-101) En assistant à l’expulsion de
son père d’un bar européen, il constate que le racisme des enfants reproduit celui des adultes : « Et puis il y eut ce jour…C’était mon père !
« (p 101-102)
La rupture brutale d’Isabelle, dès qu’elle apprend qu’il est arabe et que son véritable prénom est Younès, lui fait découvrir brutalement
le fossé qui sépare les arabes des européens : « J’appelai Isabelle…à mes parents. » (p 136 à 139)
C- Le fossé entre les communautés
1- Un fossé infranchissable sépare les arabes et les européens. Les européens détiennent le pouvoir et les plus grandes fortunes.
La richesse des quartiers européens d’Oran éblouit l’enfant à son arrivée : « L’autocar…souplesse. » (p 25 à 27). L’oncle grâce à ses études
y possède une pharmacie dans un quartier riche et paisible : « Mon oncle…Cueillir. » (p 76)
La grandeur des pièces et le luxe de l’ameublement étonnent l’enfant : « La lumière du jour… guéridon. » (p 77-78),
«Ils ne me quittèrent pas…vertige. » (p 80), « Le soir… joue. » (p80-81). Le faste de sa chambre l’effarouche :
« Ma chambre …oreillers. » (p 81)
L’installation de l’oncle à Rio Salado lui fait découvrir la richesse des fermes et des domaines coloniaux :
« Les vergers…bonheur. » (p 126) A Rio Salado la richesse des colons s’étale avec une certaine ostentation :
« C’était un superbe…la lune. » (p 129-130) La nouvelle pharmacie et la nouvelle maison de l’oncle, spacieuse et confortable,
bénéficie d’un décor magnifique : « Notre maison…cils… » (p 131-132)
Les colons ont bâti d’immenses fortunes. Pépé Rucillio, le plus fortuné d’entre eux possède d’immenses vignobles, il célèbre
le mariage de son benjamin pendant 7 jours : « Les vendanges…Ouled N’har. » (p 193) Sa fortune lui permet d’offrir une maison
à sa nièce Isabelle dans un des quartiers les plus riches d’Oran (p 338) et de se comporter en mécène. A la publication du livre
de poèmes de Fabrice Scamaroni, couronné par un prix, il en achète une centaine d’exemplaires pour les envoyer à ses connaissances (p203).
Sa fortune lui permet d’épouser une chanteuse de Nemours, de quarante ans sa cadette (p314-315).
Les parents d’Isabelle, qui travaillent pour son compte, comme négociants en vins, habitent une vaste villa (p134). La mère de Fabrice Scamaroni
possède des boutiques à Rio Salado et à Oran (p 151), elle est amie d’un riche industriel qui lui prête sa vaste propriété pour célébrer avec faste
le mariage de Fabrice avec une journaliste de L’écho d’Oran (p285).Après l’obtention de son prix, Fabrice donne une réception à la librairie du village
colonial de Lourmel (p 202).
Jaime Jimenez Sosa père d’André et oncle de José, possède l’une des plus importantes fermes du pays (p 152). Il possède d’immenses vignobles
et une vaste maison en forme de forteresse. On le voit faire l’éloge de la colonisation du haut d’une colline d’où il surplombe ses terres. Selon lui,
les colons, par un travail acharné, ont transformé un territoire sauvage et inculte en un paradis fertile. L’Algérie est leur création et leur appartient.
« quand nous…lui.» (p 323) et « Cette grande… prunes ? » (p 325)
Son fils André mène grande vie, possède deux voitures décapotables à 18 ans : « André adorait… sieste. » (p 154) Il invite ses amis dans une
brasserie puis un restaurant des plus chics d’Oran (p 170). Conquis par le modèle des réussites américaines, il ouvre un bar à Rio Salado et
l’inaugure par une réception fastueuse (p 213 à 220) où se rend le fils de la plus grosse fortune de Hammam Bouhdjar. (p 218)
Madame Cazenave, mère d’Emilie, veuve d’un directeur de bagne en Guyane, possède une superbe maison à la sortie de Rio Salado (p181-182,
elle emploie un jardinier et une femme de ménage. Ensuite elle s’associe avec Simon et crée une maison de couture qui habille les plus grosses
fortunes de la région et s’impose progressivement à Oran (p286).
2- Cette richesse des colons et de l’élite européenne contraste de façon choquante avec la misère des populations arabes. Avant d’être chassés
de ses terres, la famille de Younès survivait dans des conditions précaires : « nous vivions…s’effacer » (p 11-12). Après avoir été
émerveillé par la somptuosité des quartiers européens d’Oran, l’enfant découvre l’envers du décor avec la banlieue sordide de Jenane Jato
où les arabes prolétarisés trouvent refuge : « Le faubourg…de la terre entière. » (p 29-30) La misère de Jenane Jato lui semble s’être
encore accrue à sa troisième visite : « De prime abord…confiance. » (p 142-145) A la quatrième visite le patio est complétement dévasté (p 172-175)
Lors du déménagement à Rio Salado, l’enfant remarque la misère des logis arabes qui surgit à la suite des magnifiques domaines coloniaux :
« Puis, sans crier gare…mortuaire. » (p 126) Le patio où la famille trouve à se loger est sordide : « Il nous conduisit… le prix. » (p 30 à 32).
En reconduisant chez lui Jelloul maltraité par André Sosa, il découvre avec malaise la misère encore plus terrible du douar où vit Jelloul :
« Je pensais…moribonds. » (p 199-200)
Pendant que Younès assiste à la fête somptueuse donnée par André pour l’inauguration de son bar, Younès remarque l’arrivée de l’autocar
qui ramène des chantiers d’Oran les paysans arabes exténués et surprend la fixité du regard de Jelloul qui le dérange : « De la cour… dérangea. » (p 217)
3- Le racisme des européens à l’égard des populations arabes, l’asservissement auquel ils les réduisent, les humiliations
qu’ils leur infligent font naître chez eux une colère sourde qui finit par gagner la majorité de la population arabe. Le cas de Jelloul
est significatif à cet égard.
On le voit éxécuter docilement sans broncher parce qu’il doit faire vivre sa famille miséreuse,
les propos racistes et les ordres vexatoires et esclavagistes d’André en présence même de Younès, profondément choqué tout
comme José Sosa : « Ce jour-là…Les Arabes, c’est comme les poulpes ; il faut les battre pour les détendre. » (p 154-155) Younès
a le sentiment de ne pas être à sa place avec ses amis européens. Après la répression sanglante qui frappe les musulmans en 1945,
Jelloul battu par André et mal en point sollicite l’aide de Younès et lui fait le récit des mauvais traitements qu’il subit. La violence de ses propos ,
la misère des siens et son appel en forme d’avertissement à la conscience de Younès font entendre la révolte sourde et grandissante des arabes :
« Deux jours …mes oreilles. » (p 196 à 201)
Le père d’André se conduit en colon inflexible et impitoyable : « Son père…récupérer. » (p 153) A son éloge de la colonisation
dont il se glorifie et où il traite les arabes de pouilleux, de fainéants et d’assassins (p 325-326), Younès répond par un discours
accusateur et en forme d’avertissement (p 326-328), d’autant plus fort qu’il émane d’un homme qui se réfugie habituellement dans le silence
et le refus de prendre parti : « Vous devriez jeter un œil sur les hameaux alentour, monsieur Sosa. Le malheur y sévit depuis que vous avez réduit
des hommes libres au rang de bêtes de somme. » (p 328) Le comportement esclavagiste et l’intransigeance des colons, sûrs de leur bon droit,
ferme la porte à toute chance de négociation.
II L’échec du nationalisme pacifiste et du rêve d’une Algérie multiraciale et multiculturelle
A- Le rêve d’une Algérie indépendante où cohabiteraient en harmonie les autochtones et les immigrés européens et juifs est incarné
par l’oncle Mahi. Descendant d’une illustre famille arabe, sauvé par des religieuses, instruit et cultivé, marié à une française et vivant dans
l’aisance grâce à sa pharmacie, il offre le modèle d’une société algérienne, ouverte et tolérante, offrant à tous des chances de réussite. (p 86-87)
De religion musulmane, il se montre respectueux de celle des autres et fait un éloge vibrant de la femme et de l’amour. (p 283-285)
Il réunit chez lui des intellectuels algériens qui rêvent d’une Algérie indépendante : « Parfois… en rentiers. » (p 98). Ces réunions restent discrètes,
souvent clandestines : « Mon oncle…nuit. » (p 115) Un jour, la réunion est honorée par la présence de la figure charismatique du nationaliste
algérien Messali Hadj (p 115) que l’oncle continue de vénérer jusqu’à la fin de sa vie. Juste avant sa mort, il demande à Younes de le conduire
en pèlerinage sur la tombe délabrée du patriarche : Le premier matin ...durant. » (p 308-310) Son nationalisme exclut la violence :
« Mais ce que...parti. » (p 121-122). Il conseille à son neveu la lecture du livre de Malek Bennabi Les conditions de la renaissance algérienne,
en lui rappelant le verset du Coran « Qui tue une personne aura tué l’humanité entière. » (p 204-205) Ces nationalistes pacifistes
auraient pu servir d’interlocuteurs pour une négociation avec la puissance colonisatrice sur l’accession à l’indépendance. Au lieu de cela,
l’oncle, devenu suspect aux yeux des autorités françaises, est arrêté et interrogé pendant une semaine, peut-être sous la torture, en tout cas,
il rentre chez lui comme détruit mentalement. La police française a essayé d’en faire un traître, un mouchard et il se sent désormais
surveillé de près. (p 122) Autre conséquence de la radicalisation du conflit, il sent peser sur lui les accusations de trahison de la part
des algériens et en est véritablement obsédé (p 122) et (205-206)
Il meurt avant le début de la guerre de libération à la Toussaint 1954 (p 312), après avoir assisté à la répression des marches pacifiques
pour l’indépendance, en 1945, qui l’a rendu malade (p 194 -195), et à l’échec de son idéal rejeté par les deux partis radicalisés.
B- L’échec des amours de Younes avec Emilie, son incapacité à concilier sa fidélité à ses origines avec celle à ses amis européens
qui le délaissent, confirme l’échec de la voie de la conciliation et de la tolérance.
Privé de ses parents, puis orphelin, dépossédé de son identité, Younès se lie avec des fils d’européens qui , sauf J.C Lamy,
d’une faille modeste, et Simon, d’une famille juive endettée, appartiennent à des familles de colons riches ou appartenant à l’élite européenne.
Il tente de concilier la fidélité à ses origines avec la fidélité à ses amis européens. D’un côté la situation et les propos de Jelloul
l’interpellent sur le sort misérable et l’asservissement de ses compatriotes arabes. Mais s’il vient en aide à Jelloul et finit par se décider
à intervenir en sa faveur, à la demande de sa mère, après son arrestation, il ne se range pas dans leur camp, comme le lui reproche
Jelloul. (p 201, 364,367) De l’autre côté, la fidélité au serment arraché par Mme Cazenave, la loyauté envers ses amis, successivement à l’égard de Fabice ,
de J.) C Lamy , de Simon, le conduisent à refuser l’amour d’Emilie et à sacrifier son propre bonheur. Son silence et son abstention l’isolent.
Ses amis le délaissent sans rompre avec lui. Ils choisissent naturellement leur camp. Lui reste déchiré entre les uns et les autres sans pouvoir agir.
C’est Jelloul et le F.L.N qui l’enrôlent sous la contrainte en réquisitionnant la pharmacie (p 354 à 370), en lui demandant de fournir
des médicaments (p 371) et en le chargeant de convoyer des fonds (p 371-372). Finalement ce sont les autres qui lui imposent leurs choix.
Il se retrouve en position de spectateur ou plus exactement de témoin écartelé, totalement dépassé par l’ampleur du conflit entre les
deux communautés radicalisées et suspect des deux côtés. Comme son oncle, il est arrêté et soumis à des interrogatoires violents par Krimo,
le garde du corps d’Emilie, enrôlé dans les harkis (p 373-376). Il ne doit sa libération qu’à sa loyauté et aux bonnes relations qu’il a gardées,
malgré tout, avec ses amis européens. La position modérée et non violente qu’il incarne, comme son oncle, n’avait aucune chance de prévaloir
sur l’engrenage de la violence. L’échec de ses amours avec Emilie prouve que ce qui était encore possible du temps de l’oncle ne l’est plus.
L’amour avec Emilie était vraiment interdit et impossible. L’harmonie entre les deux communautés est devenue une chimère.
III La guerre irréversible et l’engrenage des violences
Le récit de Younes retrace avec objectivité les mécanismes et les comportements qui ont fermé la porte à toute solution négociée et
ont conduit à une guerre sans merci.
A- Un pas irréversible a été franchi avec la répression sanglante des marches pacifiques pour l’indépendance, en 1945. Ces événements
dramatiques plongent l’oncle dans la dépression. Le récit ne mentionne pas le massacre d’européens qui déclenche la répression.
Cette omission présente le choix de la répression par la France, puissance colonisatrice comme un refus de toute possibilité de négociation
future pour une accession maîtrisée à l’indépendance et raidit l’intransigeance des colons. « Et arriva...Salado. » (p 194-195) et
« Deux jours plus tard...oreilles. » (p 196-201)
La contagion de la révolte : La révolte se propage et se généralise à partir de la Toussaint 1954 qui marque le début de l’entrée en guerre.
Elle est marquée par une cascade d’exactions et de violences meurtrières décrites pages 312-315. La rébellion isolée et sporadique fait place
à une insurrection qui s’organise et se généralise. Elle se dote d’une armée et d’une administration structurées. A Rio Salado, elle se manifeste
par l’incendie d’une ferme, d’un cépage et le dynamitage d’une cave viticole. En réponse, les colons mettent sur pied une milice. Puis
les choses semblent se calmer, on ne signale plus que quelques sabotages mais cette accalmie est passagère. (p 315)
B- La guerre reprend en février 56. Cette reprise se traduit à Rio Salado par l’assassinat de José Sosa. André accuse immédiatement Jelloul
et le tabasse : « Où ...Jelloul. » (p 317-320) Jelloul est arrêté et incarcéré. Malgré l’intervention de Younes près de Jaime Jimenez Sosa, père
d’André, à la demande de la mère de Jelloul, ce dernier est condamné à mort. Après son évasion fortuite, il entre dans la lutte armée et devient
colonel dans l’armée du F.L.N. Les propos racistes et les brutalités d’André à l’égard des ouvriers arabes redoublent. Au cimetière, à l’intention
de Younes, il les traite tous d’ingrats et de lâches. (p 320) La milice organisée par son père se livre à des représailles aveugles et sanglantes (p 318-319)
Le climat s’est définitivement détérioré entre les deux communautés et l’engrenage de la violence est irrémédiablement déclenché. En 1958,
le narrateur assiste à une fusillade à Oran. A Rio Salado, l’incendie de la maison de Simon et son égorgement par les fellaghas détériorent
encore le climat et enclenche un cycle de violences. (p 341-344) Le F.L.N gagne du terrain. On le voit avec la réquisition de Younès et
de sa pharmacie, en avril 1959, d’abord pour soigner un blessé, puis pour fournir des médicaments et assurer le convoi de fonds pour
financer la guerre. (p 371). Après la capture et l’assassinat de Laoufi avec un sac de médicaments Younès, le pacifiste est lui-même
séquestré et interrogé brutalement. Il n’est plus possible de rester en dehors de la guerre.
C- l’exacerbation de la guerre
Les colons refusent l’évidence malgré les rumeurs d’autodétermination. (p 382) Leur retour, dans un climat funèbre, contraste violemment avec
leur départ en fanfare pour Aïn Témouchent, à l’occasion du 6ème et dernier voyage du Général De Gaulle en Algérie, en décembre 1960.
Leur crispation engendre les soubresauts colonialistes que sont la guerre des barricades à Alger en janvier 60 et le putsch des généraux décidés
à maintenir l’Algérie française contre la volonté du gouvernement de la France, en avril 1961. « L’Algérie algérienne...enfers. » (p 384-385)
L’O.A.S ajoute son lot d’attentats et les violences redoublent de part et d’autre : « Le cessez-le-feu...le leur. » (p 386-388). C’est le début
de la panique des européens et de leurs départs précipités pour l’exil (p 387-388) Certains sont massacrés sur la route qui conduit
aux ports (p 391-392). André Sosa pratique la politique de le terre brûlée, appliquée par l’O.A.S, en incendiant son bar avant son départ. (p 389-390)
La joie des arabes à la proclamation de l’indépendance ne dure pas longtemps. A la fin du récit, quand les amis se retrouvent après l’inhumation
d’Emilie, ils se lamentent sur le gâchis, la corruption, les règlements de comptes, le terrorisme islamique qui ont marqué le début de l’histoire
de L’Algérie indépendante. (p 417) et (p 423-424)
Le roman, centré sur le personnage de Younès, reste un roman. Il ne tente pas de faire un récit et une analyse complets des événements
et de la guerre d’Algérie. Il s’efforce, à travers des personnages romanesques vivant dans la région d’Oran et de Rio Saldo, de rendre
sensible, au lecteur, l’atmosphère qui régnait dans l’Algérie coloniale et la détérioration progressive et irréversible des rapports entre les deux
communautés. Il ne mentionne les grands événements, impossibles à ignorer, comme la répression de 1945, l’insurrection de la Toussaint 1954,
la semaine des Barricades à Alger, en janvier 1960, le putsch des généraux, en avril 1961, qu’en toile de fond de son récit et comme repères
chronologiques. Les terribles violences de cette guerre, qui sont parfois celles d’une guerre civile, sont le plus souvent décrites en termes assez
généraux qui en gomment partiellement l’horreur. Il n’entre presque jamais dans le détail de ces horreurs et omet de mentionner un certain nombre
d’épisodes particulièrement atroces. Ainsi, quand il évoque les événements de Sétif, en 1945, il ne parle que de répression de marches pacifiques
et omet de parler du massacre d’européens. Il ne parle pas non plus du massacre du 20 Août 1955 en Kabylie, dans la région de Constantine,
Philippeville et Guelma. Au cours de ces événements, 123 européens, hommes, femmes et enfants sont massacrés dans des conditions atroces par des commandos du F.L.N encadrant une partie de la population musulmane. En riposte 1273 rebelles furent abattus. Le récit gomme également les
aspects les plus terribles de la guerre civile et des affrontements entre Le F.L.N et le M.N.A et ne mentionne pas le massacre du 28 mai 1957
où les hommes du F.L.N massacrent 300 habitants du douar de Melouza, soupçonnés de complicité avec le M.N.A. Le massacre des harkis
en 1962 n’est évoqué qu’en termes généraux (p 418). Le sort des européens des quartiers pauvres n’est évoqué que lors des retrouvailles. (p 427)
Le narrateur ne fait aucune allusion à l’usage de la torture des prisonniers dans les deux camps. Bien que le récit soit terrible, il évite de
sombrer dans l’horreur. La réalité, elle, fut encore plus terrible.